Compte-rendu du séminaire de recherche Lasco sur le texte : Balogun J., Jacobs C., Jarzabkowski P., Mantere S., Vaara E., « Placing Strategy Discourse in Context : Sociomateriality, Sensemaking and Power », Journal of Management Studies 51:2, March 2014, p175-201
Synthèse réalisée par Joanne Jojczyk
Cet article est issu du numéro consacré à la stratégie comme discours du Journal of Management Studies.
Les auteurs étudient la place du discours dans la construction de la stratégie en organisation. La stratégie possède une place dominante dans la vie organisationnelle. Mais d’où provient-elle ? Comment naît-elle et comment s’accomplit-elle ?
Selon les auteurs, la stratégie n’est pas un élément que l’organisation possède mais bien une réflexion que les « stratèges » construisent et « font ». La stratégie se construit socialement à travers les interactions et les échanges des acteurs.
La stratégie et le travail autour de celle-ci impliquent donc une mobilisation du langage sous toutes ses formes. Le langage surplombe la stratégie et plus globalement, l’organisation : son utilisation construit la stratégie, permet de la communiquer aux parties prenantes et donne un sens à l’organisation.
Les auteurs définissent de cette manière le langage comme un moyen de représenter le monde. Les mots (à l’oral comme à l’écrit) ont ainsi un pouvoir. Mais quels mots, quels discours analyser ?
Face à la multitude de discours présents dans le quotidien de l’organisation, les auteurs soulignent l’importance de replacer ces mots dans un contexte spécifique afin de mettre en lumière certaines pratiques sociales en interne.
L’objectif de cet article est de présenter les contributions actuelles dans ce domaine et d’amener de nouvelles pistes théoriques et analytiques pour étudier certains phénomènes présents dans la construction du discours.
Quel cadre d’analyse ?
Durant les deux dernières décennies, les écoles s’inscrivant dans l’approche discursive allient diverses ressources théoriques et méthodologiques pour étudier et analyser l’aspect linguistique dans les phénomènes sociaux et stratégiques. Les auteurs dressent un « bilan » de ces différentes réflexions :
L’analyse post structuraliste
Le rôle du discours est ici considéré comme une source de pouvoir et de connaissance. Le discours est envisagé comme une pratique sociale pouvant modifier la vision de l’organisation.
Les pratiques sociales mises en avant dans le discours sont établies comme des normes s’imposant aux membres . Il s’agit d’un discours dominant et reproduit par les managers. Cette réflexion autour de la normalisation du discours est liée au principe de « managérialisme ».
Notre discussion a également porté sur les nouveaux courants post-structuralistes s’intéressant à la place du discours auprès des membres lors de changements organisationnels.
L’analyse critique du discours
Ce courant se centre sur la linguistique pour comprendre un phénomène social et ses implications de pouvoir. Les chercheurs étudient le choix des mots dans la construction et la mobilisation du discours comme ressource stratégique dans le développement de la vision de l’organisation.
Les analyses narratives
Les recherches axées sur les analyses narratives étudient l’usage du récit dans le processus de construction de la stratégie. La pratique du storytelling permet de construire l’organisation en étant partagée par les membres en interne. Ce récit devient le reflet de l’organisation.
Une approche purement fonctionnaliste de la circulation du récit mérite cependant d’être remise en question.
L’analyse rhétorique
La rhétorique a pour but la persuasion. L’argumentaire peut avoir des effets sur les actions et pratiques d’un membre. Il s’agit ici de s’interroger sur l’effet qu’un émetteur peut avoir sur un récepteur.
La prise en compte du contexte d’énonciation est essentielle dans ce type d’analyse. En effet, la construction d’une logique dans le discours dépend de la situation.
L’ethnométhodologie et l’analyse conversationnelle
L’ethnométhodologie se centre sur l’observation des pratiques et des interactions sociales. Les chercheurs s’interrogent sur la façon dont certains acteurs créent du sens dans leur « monde » à travers leurs interactions. Cette méthode impose un suivi quotidien des échanges des membres de l’organisation.
L’analyse conversationnelle permet de revenir sur certains épisodes de la construction d’une stratégie en soulignant l’impact d’un échange clé.
L’analyse de métaphores et d’analogie
Les métaphores dans le discours créent du sens et établissent une culture d’entreprise. En lien avec la pratique du storytelling, elles permettent le partage des réalités organisationnelles entre les membres.
Ces différents niveaux d’analyse proposés par les auteurs mettent l’accent sur plusieurs éléments :
- la nécessité de s’appuyer sur un cadre méthodologique clair
- la place du contexte dans l’analyse du discours stratégique
Ce second point éclaire les chercheurs sur le lien entre les approches discursives et la littérature autour de la pratique de la stratégie en se concentrant sur trois phénomènes : la sociomatérialité, le sensemaking et le pouvoir.
La sociomatérialité, le sensemaking et le pouvoir : le tournant pratique de l’étude du discours stratégique
Ces trois pratiques en organisation permettent de comprendre certains phénomènes sociaux :
- La recherche sur la sociomatérialité: comprendre comment les pratiques discursives sont liées à certains objets (support physique, configuration d’un lieu…).
- La recherche sur le sensemaking : comprendre le lien entre la linguistique et les théories cognitives, le langage et l’esprit et mettre en lumière la construction de sens au sein de l’organisation.
- La recherche sur l’analyse du pouvoir : souligner les implications politiques et le pouvoir des acteurs dans le discours stratégique.
Les auteurs proposent des pistes d’analyse afin d’appréhender ces phénomènes :
- L’analyse épisodique : analyse des activités et pratiques des acteurs organisationnels (réunions, ateliers, séances de réflexion autour de la stratégie).
- L’analyse organisationnelle : analyse des actions organisationnelles (décisions, changements).
- L’analyse institutionnelle : analyses des pratiques institutionnalisées dans l’élaboration d’une stratégie (création d’un plan stratégique, usage de l’analyse SWOT…).
Ce cadre méthodologique permet de mener deux types de recherche : une première axée sur les caractéristiques du discours stratégique dans l’organisation et une seconde, à un niveau micro, se centrant sur les actions et interactions quotidiennes formant la stratégie.